De cour à jardin
Voilà une cérémonie qui passait inaperçu au point un jour de complètement disparaître de la programmation télévisuelle. L’an dernier le challenge était lancé : refaire vivre la cérémonie des Molières, après deux ans d’absence, en la présentant comme un vrai spectacle vivant. On compare toujours une cérémonie à une autre, aussi par rapport aux César je trouvais que les Molières étaient toujours plus chaleureux (avec des morceaux de spectacles visuels de circassiens par exemple) et que les participants nous communiquaient leur joie d’y être, ce qui n’est pas forcément le cas au César. On s’est habitué à ce que les audiences de ce type de manifestation touchent le fond, aussi en relançant les Molières l’an dernier l’important était d’abord qu’on parle du théâtre à la télévision. Le pari fut réussi.
Le maître de cérémonie, Nicolas Bedos, avait fait du beau boulot l’an passé et c’est logiquement qu’il a été rappelé cette année pour cette 27e édition. Avec son complice Alexis Trégarot à l’écriture, ils ont ficelé une soirée de remise de prix qui ne ressemble pas à une remise de prix. Objectif largement atteint puisqu’au final on se fiche un peu de savoir qui va gagner, qui du théâtre public ou privé va l’emporter et c’est tant mieux. Pour éviter les longueurs les lauréats ont une minute pour remercier et dire ce qu’ils ont sur le cœur sur la scène des Folies Bergères. S’ils dépassent ce temps, ils se rendent responsables de la mort d’un ou deux bébés ! Une idée tordue jaillie de la tête des auteurs de la soirée parmi tant d’autres : les gagnants pourront se venger en torturant 3 critiques du Masque et la plume, ligotés sur scène (très drôle !!). Les intermèdes sont devenus plus intéressants que le palmarès. Et on va tellement loin dans ce principe que les pièces ne sont même plus mentionnées lors de l’annonce des nommés ! Il n’y a plus de récompenses pour les décors et les costumes !
Ce lundi soir 27 avril, dès 22h30, on a pu apprécier les prestations délirantes de François Morel en nouveau « vieux » ministre de la Culture qui veut supprimer le statut d’intermittent, traitant la salle de « bouffon », Denis Podalydès qui a ré-endossé le rôle du vieillard réac et raciste Jules Guérin Misseck, Guillaume Gallienne qui joue la surprise d’être en direct se croyant en répétition et qui clame un « Ô peuple théâtral pardonne mes offenses… ». Deux beaux moments de théâtre (peut-être un peu longs pour la télé) ont permis d’apprécier la justesse des comédiens interprétant des textes de Nicolas Bedos. Le premier sur les états d’âmes d’actrices de 5 générations différentes qui avait une résonance particulière si on en croit les gros plans sur les yeux brillants des actrices dans la salle. Le deuxième ou « comment expliquer la vie de Molière avec des mots d’aujourd’hui » au travers trois Jean-Baptiste Poquelin de 3 époques. On peut y ajouter les clins d’œil sympathiques de Muriel Robin et Pierre Arditi en faux duplex, l’intervention de la révélation de l’an passé, Jeanne Arènes, celle off de Doria Tillier avec la voix de Fanny Ardant. D’autres interventions n’étaient pas « nécessaires » et sans elles, la cérémonie aurait été raccourcie ce qui aurait été une bonne chose (2h15 c’est long !!) : le sosie de Sarkozy « très bon acteur, pas regardant sur le texte », l’apparition très Timburtonnienne d’une fausse Adjani, les molières belges, ou l’analyse de l’audimat de la soirée par Elie Seimoun.
Point phare de la soirée, qui fera le buzz le lendemain, le discours du représentant syndical (joué par l’auteur de la pièce « Des hommes tout nus », Sébastien Thierry) qui interpelle dans le plus simple appareil, la Ministre de la culture. Il explique que si on peut faire du théâtre sans costumières et même sans costumes, on ne peut le faire sans auteurs qui pourtant, grande injustice, n’ont pas droit au chômage. Ils sont donc condamnés à faire un succès par an et pour plaire à tout le monde, ils écrivent des pièces stupides… Le passage est très drôle et les gros plans sur la ministre de la Culture en disent long sur sa gêne. Mais je ne suis pas sûre que le buzz serve la cause…
Pour clôturer les deux heures et quart de cérémonie, Nicolas Bedos, qui a parsemé ses interventions de référence à l’actualité la plus noire de notre pays, en balançant son corps nerveusement (héritage ou hommage à Papa qui était dans la salle), conclut en mourant sur scène, assassiné. Agonisant, il remercie tous ceux qui ont permis à cette soirée d’exister. Je n’ai jamais été emballée par ses prestations d’acteur dans les films. Je crois qu’il est « juste » quand il est lui… ce qui était le cas ce soir !
On a le chic en France pour se comparer aux américains qui sont de loin les maîtres pour ce genre de soirées. Pourtant, je trouve que c’est comme pour les séries, quand on met de bons auteurs sur le coup, ça porte ses fruits même avec des budgets serrés. Et je reste persuadée que quand il s’agit de faire des choses qui sortent de l’ordinaire, les artistes eux-mêmes sont prêts à donner de leur temps pour rendre la soirée plus belle. Petite, je rêvais de voir mes acteurs préférés chanter, danser, jouer le soir des César. J’en rêve encore !