La parenthèse enchantée
Festival à vélo
Depuis maintenant cinq ans, à chaque mois d’octobre, c’est le même rituel. Je file vers la capitale des Gaules pour vivre une semaine intense en émotions. A Lyon, depuis plus de dix ans, le festival Lumière est le paradis des cinéphiles. Imaginez un peu : des centaines de projections à travers la ville, toutes présentées par une personnalité du cinéma, des masterclass, des ciné-concerts, une fête d’ouverture, une remise de prix, une soirée de clôture dans des salles de plusieurs milliers de spectateurs, le tout rythmé par les arrivées d’invités qui auront l’honneur d’avoir une plaque à leur nom sur le mur de l’Institut Lumière. Dans ce bel endroit, chargé d’histoire, tous les cinéphiles se donnent rendez-vous au village éphémère, monté dans le parc de l’Institut sous le regard des frères Lumière. Ici on voit des films certes mais on passe beaucoup de temps à en parler, attablé au bar à bières ou devant une assiette de spécialités lyonnaises, en faisant claquer les boitiers de DVD ou en feuilletant un livre à la boutique. Le village est aussi le lieu de passage de tous les invités qui se succèdent au micro de la radio Lumière. Tout ce petit monde, personnalités et anonymes, se croise « à la cool » avec le sentiment d’appartenir à la même famille.
Monter à Lyon quoi qu’il arrive…
Cette année, plus fort encore, j’avais à cœur de « monter à Lyon ». Fuck le virus et la pandémie mondiale ! Cette année sans festival de Cannes, cette année où les cinémas ont baissé le rideau pendant des mois, cette année sans contact… une année où notre monde devient fou. Je perds la boule mais même si cette édition se résume à une seule séance, j’en serai ! Dans mon paquetage de festivalière j’ai ajouté des masques, du gel et j’ai sauté dans un TGV.
Gare Part Dieu. Quel monde !
J’arrive de Cannes, autant dire d’un village. Ca fait des mois que je n’ai pas vu autant d’humains au mètre carré. Ce soir aura lieu la cérémonie d’ouverture et je n’y serai pas. La halle Tony Garnier, qui d’ordinaire accueille 5000 personnes, en verra 5 fois moins, protocole sanitaire oblige. J’en profite pour mettre à plat mon planning de la semaine et préparer mon sac en bandoulière avec accréditation, carte Vélo V… Mon marathon de films peut commencer sauf que cette année je n’ai que 8 tickets, soit un film par jour. Un semi-marathon en somme.
Avant de me laisser sombrer dans un sommeil « préparateur », j’envoie 2 requêtes à qui voudra les entendre : que la chance soit avec moi pour être l’élue de la file « dernière minute » et qu’il ne pleuve pas pour que je puisse pédaler entre deux séances, mon sport favori.
Alléluia, Dieu existe !
Enfin mon dieu à moi, celui du « petit bonheur la chance » qui transforme les petites choses en grande joie. Bien sûr qu’il a plu sur Lyon, mais toujours pendant que j’étais au sec dans une salle de cinéma. 2e preuve : j’ai pu entrer à toutes les séances que j’ai voulues (sauf une !), même dans la toute petite de la villa Lumière que j’adore. Je vous en ai déjà parlé. On y entre par le sous –sol, entièrement moquettée elle absorbe tous les sons, et comme elle a très peu de dénivelé les fauteuils des premiers rangs sont, comment dire, profonds. On s’y enfonce avec la sensation d’avoir les genoux au niveau des oreilles. Un délice ! Le siège m’enveloppe comme un cocon. On peut m’envoyer tout ce qu’on veut sur l’écran, je me sens en sécurité !
1 Festival, 2 FestiVélos !
Depuis cinq ans, je pratique le FestiVélo à Lyon pour voir et revoir des films sur grand écran. Je viens toujours pour les films mais d’années en années, le plaisir est aussi de retrouver les salles. Mettez-vous à ma place, revenir dans un endroit où on a accumulé tant d’émotions, on s’y attache. Quand j’entre au Comoedia, le cinéma de la rue Berthelot, je me sens bien dès l’entrée, dans l’escalier en colimaçon qui mène à la salle, le désir monte et quand en haut des escaliers je découvre la salle immense, je jubile. En un balayage de tête, je détecte ma future place comme un guépard guetterait sa proie. Cette année le scannage de la salle est un peu plus flou. Jauge réduite oblige, il faut qu’il y ait un fauteuil libre entre deux groupes de personnes. Je m’y suis faite, tout comme au port du masque durant toute la séance. Je m’y suis tellement habitué que je l’ai supporté dehors et même sur mon Vélo V !
Action !
Le festival débute toujours (pour moi, hein, je n’oblige personne !) par un pèlerinage à l’Institut Lumière et son village enchanté. La gifle 2020 : le village a été fermé pour raison sanitaire (les chapiteaux ne sont plus autorisés à recevoir du public) avant même son ouverture. Le parc est tristounet sans les aller-venues de cinéphiles. Pas de food truck, pas de pot à partager sur les chaises longues… et puis pas de soleil, comme ça, pas de regret. On s’occupe comme on peut en arpentant le pop up store des éditeurs indépendants de DVD (qui avait également un grand chapiteau dédié devenu interdit). Un arrêt shopping au corner officiel où j’investis dans les badges qui rejoindront ma collec’ grandissante et dans le catalogue. Même si le motif donné était écologique, le catalogue n’a pas été imprimé pour chaque accrédité. Vu le contexte c’était certainement plus prudent. Une souscription a été lancée et du coup nous aurons notre catalogue 2020, moyennant 20 € (cf voir les tarifs).
Voir Viggooooo !
Bon, on se ressaisit, je ne suis pas venue pour m’apitoyer mais au contraire pour soutenir, encourager, célébrer et si possible enjoyer !! Donc on ne lâche rien. Je n’ai pas de billets pour ce dimanche, la belle affaire. I have a mission : réaliser le souhait de ma sœur, à savoir, « voir Viggo Mortensen ». L’acteur-réalisateur-scénariste-producteur-peintre-poète danois (oui tout ça en un seul homme !) est invité pour évoquer sa carrière et présenter sa première réalisation. Son « Falling » aurait dû être présent à Cannes en mai dernier et ça remue le couteau dans la plaie cannoise. La file d’attente s’étire devant la Comédie Odéon où il va donner une masterclass. Puisqu’il y a peu de chances qu’on entre pour écouter Viggo dans le joli théâtre rouge, nous allons l’attendre ! J’ai tellement envie de voir la tête de ma sœur quand elle le verra en vrai !
Un van officiel stoppe devant nous et Viggo apparaît… masqué, of course ! Dans le bar du théâtre (fermé au public #covid), il s’approche de la baie vitrée pour nous saluer et enlève son masque. Echange de regards et de sourires sincères, limite émus des 2 côtés de la vitre autant de le voir que de la situation « sans contact ». Be positive : mission accomplie.
Des expos…
Je repars avec ma sœur sautillante dans les rues de Lyon, direction les expositions de la rue de l’Arbre-à-sec. Nos regards s’attardent sur les affiches de films célébrés à l’occasion du centenaire de Michel Audiard. Belles, graphiques, colorées. Les visages des acteurs sont peints. J’ai alors une pensée pour Bernard Giraudeau et Brigitte Fossey dans « Croque la vie » qui pimpaient les affiches destinées aux cinémas des grands boulevards parisiens. Je vous pose ça là, je fais c’que j’veux !
Captain Viggo fantastic
Je ne connais pas bien la filmo de Viggo. Je n’ai pas vu la plupart de ses films à part Captain Fantastic et Green book, deux films où il est inoubliable. Je ne suis pas fan de la trilogie du Seigneur des anneaux. Du coup, dans la sélection qu’il a faite pour le Festival j’ai tout à découvrir. Sur les conseils de ma sœur nous allons tenter d’entrer en « last minute » à Lumière Terreaux pour Loin des hommes, un film inspiré de L’hôte d’Albert Camus que Viggo a co-produit. Il y joue en français (qu’il parle couramment comme l’espagnol, l’anglais et le danois of course !) et en arabe face à Reda Kateb. Le hall du cinéma est étroit aussi l’équipe distribue des numéros pour respecter l’ordre d’arrivée, hautement important. A 1 près on peut entrer… ou pas ! Dehors un groupe, visiblement fan de la triplette signée Peter Jackson, fait le pied de grue, avec appareil en bandoulière et affiches à dédicacer. Ça sent l’arrivée du Viggo à plein nez ! Chance pour nous ce petit groupe n’a visiblement pas l’intention d’entrer dans la salle. Aragorn bat Viggo ! Frémaux arrive sur son vélo. C’est bon signe. La salle s’est bien remplie et on attend patiemment notre tour. Avec cette histoire de jauge, on râlouille gentiment quand c’est une personne seule qui entre et on applaudit quand c’est un groupe, garantissant des places dispos en plus. On entre pour les 2 dernières places. Evidemment, on est tout devant, l’écran à portée de mains mais ravies d’être inside. Pas le temps d’enlever nos manteaux que Frémaux prend le micro et accueille avec une floppée de superlatifs le chéri de ma sœur qui sourit timidement à un mètre de nous. Mission mais accomplie de ouf !
Good friends
C’est la tête encore perdue en plein Atlas algérien sur fond de musique de Nick Cave qu’on rejoint mes copines de festival du côté du Pathé Bellecour où m’attend l’avant-première de Vaurien dont je ne sais rien (je fais exprès, j’adore ça ne rien savoir). La baseline du Festival Lumière est « Good films, good food, good friends ». Chaque année au Festival mon cercle d’amis cinéphiles s’agrandit. On est particulièrement ravis de se retrouver cette année mais on ne se touche pas, on ne s’embrasse pas ! Les hugs amicaux c’est so 2019 ! 😉 Les regards perçus au-dessus des masques sont d’autant plus intenses. Et là, une d’entre elles me tend un billet pour l’avant-première de Falling, ce soir à l’Institut. OMG ! J’attendrais le 4 novembre pour le voir en salles, ce soir ce billet inattendu est pour ma sœur qui va pouvoir finir sa journée avec Viggo au taquet. Et je ne regrette pas, si vous aviez vu son air quand elle est rentrée tard le soir… elle ne marchait pas, elle planait ! La magie du cinéma que voulez-vous !
Vive les femmes !
Le plaisir du festival, c’est aussi, de découvrir des films dont on n’a jamais entendu parler, faits par des réalisateurs dont on ne connaît pas le nom. Depuis quelques années, le kiff suprême c’est de découvrir des films de réalisatrices inconnues. Cette année, c’est Joan Micklin Silver qui est à l’honneur avec 3 films. Ce matin dans la belle salle du Hangar c’est Yann Gonzales qui a pris la parole pour nous parler de Hester Street avec le grain de voix des timides qui se font violence. Sans dévoiler l’intrigue, le réalisateur niçois souligne les aspects de ce premier film qu’il apprécie particulièrement, resitue le film dans son époque et s’emballe sur le jeu de l’actrice principale, Carole Kane, qui lui valut une nomination aux Oscars. 1h31 dans un noir et blanc évoquant les films muets et entièrement en yiddish, le film nous transporte complètement dans une autre époque (alors qu’il date de 1975) tout en évoquant un sujet éternellement d’actualité, le déracinement et l’intégration. Belle découverte !
Viggo, une avant-première et mon 1er Joan Micklin Silver : pas mal pour un premier jour de projection… on croise les doigts pour que le festival se poursuive.