Séance de rattrapage
« Fatima », le film de Philippe Faucon a commencé son aventure sur les écrans à Cannes à La quinzaine des réalisateurs en mai dernier dans l’ambiance particulière du Festival de Cannes.
Le film est sorti en salles en octobre et a reçu le Prix Louis Delluc qui récompense un film français de l’année.
Ce 28 janvier, une belle émotion a envahi la salle de La Licorne lors de la projection de « Fatima ». La rencontre avec son réalisateur, Philippe Faucon, a été l’occasion pour le public de lui témoigner sa reconnaissance face au message passé dans ce film sensible, épuré qui fait un bien fou en cette période de repli identitaire. Il a répondu aux questions de Daniel Rocchia et des spectateurs émus.
Le pitch rapido pour ceux (les pauvres !) qui ne l’ont pas encore vu : Fatima vit avec ses deux filles, Souad, 15 ans, lycéenne en révolte, et Nesrine, 18 ans, qui doit quitter la maison pour commencer ses études de médecine. Pour l’aider, Fatima multiplie les ménages en horaires décalés. Elle souffre de ne pas bien parler le français et fait honte à sa cadette. Une chute, une pause forcée et Fatima se met à écrire dans sa langue ce qu’elle n’arrive pas à dire en français à ses filles.
Votre film nous donne le sentiment d’être en immersion dans un documentaire. Comment avez-vous travaillé sur le scénario ?
Le point de départ du film, c’est un petit livre écrit par Fatima Elayoubi, un journal dans lequel elle a consigné, sur une vingtaine d’années, ce qu’elle n’arrivait plus à exprimer à ses filles ou autour d’elle car elle ne parlait pas suffisamment le français. C’est écrit de manière très intérieure, en arabe, ce qui n’est pas forcément évident pour en faire un scénario. Il fallait pour le film faire en sorte de raconter des situations de vie. J’y ai ajouté des expériences piochées chez des femmes comme Fatima. Un scénario, c’est écrit mais ça ne peut prendre vie que s’il y a une rencontre avec la sensibilité d’un interprète qui parvient à faire vivre cet écrit par son vécu. Une rencontre entre l’écrit et l’humain. Si ça ne marche pas, ça sonne faux. Je préfère alors chercher avec le comédien quelque chose qui fasse appel à son vécu et sa sensibilité. Le cinéma c’est quelque chose qui prend vie sur l’écran. Il faut trouver les points de rencontres entre le texte et les acteurs et provoquer des étincelles de vie.
D’où le choix de votre interprète de Fatima ?
Le personnage principal ne parle pas bien le français. Je crois que c’est quelque chose qui ne se joue pas. C’est très difficile d’être juste même pour une comédienne de grand talent surtout avec des dialogues importants. Ça peut tout de suite faire caricatural. On a fait des essais avec des comédiennes mais de leur avis même, ça ne marchait pas. On a compris que ça ne fonctionnerait qu’avec quelqu’un qui était dans cette situation, et donc une non-professionnelle, inconnue. Ça fait très peur aux producteurs ! Quand on a rencontré Soria, elle avait dans sa vie beaucoup de points communs avec le personnage du film : elle est arrivée en France sans bien parler le français, a une vie de travail muette, fait des ménages, a eu ses enfants en France qui parlent français avec toutes les difficultés de communiquer que ça entraine. Mais ça ne suffit pas pour bien le jouer. Jouer c’est donner vie dans des conditions contraignantes. Il faut parler pour que le son soit bon, s’arrêter à des marques sans les regarder, faire tel geste à tel moment en disant telle parole… ce n’est pas évident du tout. On a souvent l’impression que quand on tourne avec des non comédiens, il suffit de leur dire « sois toi-même » et on met la caméra en marche. C’est déjà une appréhension forte pour des comédiens pro au moment où il faut y aller même quand on en est à son vingtième film. Pour Soria, il a fallu une très grande concentration car elle s’est retrouvée engagée dans quelque chose de difficile. Elle voulait s’impliquer. On lui a lu le scénario d’abord, on l’a fait traduire en arabe pour qu’elle puisse le lire et l’apprendre. Elle s’est engagée à fond car elle a voulu, avec ce personnage, parler de toutes les Fatima.
Votre précèdent film, « La désintégration » avec celui-ci forme une sorte de diptyque.
Oui, « la désintégration » est un film grave, dur, qui raconte l’histoire de 3 jeunes garçons qui ont le sentiment de ne plus faire partie de la société dans laquelle ils sont nés. Ils vont être manipulés et entrainés dans un projet d’attentat. On l’a tourné en 2010 car on sentait quelque chose dans l’air avec les producteurs. On ne voulait pas faire un film caricatural, sensationnaliste. Un film ne peut pas raconter toute la complexité de la situation, ça ne peut restituer qu’un fragment de la réalité, des histoires individuelles. En sortant de ce film, on avait le besoin d’aborder d’autres fragments. On présentait le film de cette dérive en disant « un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ». En sortant de ce film on avait envie de raconter « cette forêt qui pousse » et le livre de Fatima, que j’avais gardé dans un coin de ma tête, le permettait.
Vous avez fait le choix de refuser le misérabilisme en ne montrant pas les structures, la cité…on reste près des personnages et la lumière est belle, colorée. Pas de tentation de faire des rapprochements entre une image de la banlieue et des conditions de vie.
En premier lieu ce sont des personnages dont il fallait montrer la dignité à l’image. La lumière n’est ni démonstrative ni esthétisante. Elle révèle les personnages dans ce qu’ils ont de plus humain. Elle est au service des comédiens. Même si les personnages ont l’air d’être dans une petite existence, ils ont quelque chose à nous dire et nous apporter.
Que devient votre actrice principale Soria Zeroual ?
Après le film, elle est retournée à sa vie, ses enfants, son travail de femme de ménage, tout le monde l’appelle Fatima maintenant ! Quand elle a commencé le tournage, elle disait que ce rôle était l’occasion d’une seule fois donc elle ne s’est jamais fait d’illusion. Je pense qu’elle a vécu une rencontre forte avec elle-même. A la fin du tournage, elle disait que si on lui proposait un rôle intéressant, elle aimerait bien recommencer. Elle est venue à Cannes pour la Quinzaine, curieuse de voir le film qu’elle n’avait pas encore vu. Mais le cinéma, Cannes, ne sont pas des choses qui lui tournent la tête. Et là, elle est nommée au César de la « meilleure actrice » à côte de Deneuve, Huppert ! Ça l’amuse ! Ce qui était important quand elle est venue à Cannes, c’était que ses enfants la voient à la télé et l’appellent le soir pour lui dire qu’ils étaient fiers d’elle. C’était la chose qui comptait le plus.
« Fatima » est en lice pour 4 récompenses au César 2016.
Meilleure espoir féminin – Zita Hanriot
Meilleure adaptation
Meilleure actrice – Soria Zeroual
Meilleur film
RDV le 26 février !
Très bon film vu hier, j’espère que les césra vont le recompenser. j’aine beaucoup votre blog.
je l’ai enfin vu et je comprends l’emotion dont tu parles si bien.
tu devrais faire des interviews plus souvent.
Merci Fred. Alors des interviews j’en fais tout le temps pour le blog, tu veux peut-être parlé « de gens connus »… j’avance et j’espère pouvoir en faire de plus en plus.
Apres cet article j’ai vu le film et je comprends l’émotion dont tu parles. Merci.